« Qu’est ce que tu fous là ? Et p’tain qui t’as laissé entrée que j’lui démonte la gueule ! »Le ton était colérique. De mauvaise humeur.
Mais elle se tenait, presque frêle et intimidée sur le pas de la porte, presque trop maigre pour ses vêtements trop grands. Et Kelly du détourner le regard, incapable de regarder le fantôme qu’était devenu sa mère. Il était en pleine composition d’une chanson, le groupe se trouvait en plein enregistrement de leur deuxième album et il n’était pas d’humeur à voir quelqu’un de sa famille de merde.
Surtout s’il s’agissait de sa mère.
Assis sur un des canapés, un bloc note dans une main et un crayon dans une autre, Kelly fronça les sourcils essayant de se calmer.
« Le concierge en bas je crois... Je lui ai dis que je suis ta mère et... »
Ce fut plus fort que lui, Kelly éclata d’un rire moqueur qui acheva de renfrogner Lisa Stone.
« V’là l’ironie, cracha t-il en la foudroyant brusquement du regard.
T’es tout sauf une mère ! »Lisa se mordit les lèvres, ses yeux brillant de larmes qui menaçaient de couler le long de ses joues pâles et trop creuses, trop maigres. Cette vision ne fit qu’accentuer sa colère et toute la haine qu’il pouvait ressentir pour cette femme et pour tout ce qu’elle représentait : son passé, son enfance dans les logements HLM mal famée de la banlieue sociale de Birmingham. Ca lui rappelait les cris qu’elle poussait quand son paternel avait la main trop lourde sur elle. Ca lui rappelait son indifférence (et son soulagement) quand son père décidait de passer ses nerfs d’homme trop bourré sur Kelly. Ca lui rappelait son désintérêt quand Kelly avait fugué et que les services sociaux lui avaient mis la main dessus, l’embarquant avec eux.
Il savait qu’il n’avait jamais été un gamin facile : il bleutait les cours, fumait et buvait avec ses potes, se retrouvait dans des bagarres et finissait très régulièrement au commissariat du coin. Mais le gamin qu’il avait à peine été avait toujours espéré que sa mère puisse se soucier un peu de lui. Juste un peu.
Kelly avait rapidement comprit que Lisa Stone se souciait bien plus de sa came que de son propre fils. Alors il avait laissé tomber l’affaire, il avait tourné la page : même avec le succès de son premier album, ses parents n’avaient jamais essayé de le contacter alors il avait fini par les oubliés.
Lisa ferma les paupières en croisant les bras autour d’elle, futile geste protecteur qui lui fit arquer un sourcil.
« J’ai... J’espérais que... commença t-elle d’une voix tremblante. J’ai besoin de ton aide. »
Kelly écarquilla les yeux, pris par surprise. Après toutes ces années de silence, elle revenait le voir pour lui demander de... l’aide ?
« Tu te fous de ma gueule, c’est ça ? De l’aide pour quoi ? Pour t’acheter ta putain de cocaine ? Elle secoua la tête mais Kelly était bien trop en colère désormais.
- Non, non...
- Va te faire voir !- J’essaye d’arrêter Kelly ! Hurla t-elle alors pour se faire entendre. »
Ce dernier se figea alors qu’il s’était levé d’un bond, la pointant d’un doigt accusateur. Les traits de son visage ne se détendirent pas.
« Je te le promets, j’essaye d’arrêter et j’ai besoin... J’ai besoin que tu m’aides. »
Il secoua la tête, peu certain de quoi faire de cette information. Finalement il écarta les bras, dans un geste ironique d’approbation.
« Ma niqué de mère veut arrêter la drogue ! Magnifique ! J’peux rien faire pour toi, va voir un centre de désintox...- J’y suis allée mais... ils demandent beaucoup...
- Oh, c’est donc ça le vrai problème hein ? La thune ? Tu veux que je te file de la thune pour ta désintox c’est ça ? »Le silence qui suivit sa question lui donna sa réponse. Kelly hocha la tête, faisant la moue avant sourire.
« Dégage de là. - Kelly...
- NON ! S’exclama t-il à son tour.
Moi aussi j’avais besoin de toi ! Et t’as jamais été là, tu m’as abandonné comme un pauvre connard... donc va te faire foutre ! Non, mieux, tu sais quoi ? Si t’es pas capable de prendre soin de toi, fais un cadeau à la société et fais moi plaisir : va te suicider ! Fous toi en l’air tu manqueras à personne ! »La violence de ses paroles le laissa pantelant et la mère et le fils se dévisagèrent, interdits, l’espace de quelques secondes trop longues. Finalement, elle hocha la tête, ravalant ses larmes avant de partir sans une parole de plus.
Kelly se laissa retomber sur le canapé, à bout de souffle et le coeur battant la chamade. Une heure plus tard quand le reste du groupe et le staff revinrent de leur pause déjeuner, ils purent découvrir un Kelly ayant éclaté sa guitare acoustique contre le mur du studio. Ce ne fut que tard dans la soirée qu’il alla demander à son manager s’il était possible de trouver un bon centre de désintoxication pour une « personne qu’il connaissait ».
Il était 8h du matin quand son téléphone sonna, réveillant Kelly qui s’était endormi comme une masse après une nuit blanche à répéter. Grognant, il tatonna sur son lit jusqu’à trouvé son portable.
« Moui ? »De l’autre côté du fil, il y eut un blanc qui lui fit froncer les sourcils.
« Monsieur Stone ? »
La voix était féminine et terriblement solennelle.
« Ouais ? - Ici le commissariat de Birmingham. Je vous appelle concernant Madame Lisa Stone, vous la connaissez ? »
Désormais complètement réveillé, Kelly se redressa, s’asseyant au bord du lit.
« C’est ma mère ouais... - Je suis dans le regret de vous informez de nous avons retrouvé le corps de votre mère ce matin à 6h. Votre père l’a retrouvé dans la chambre, elle s’est pendue au lustre. Je sais que la situ... »
Le reste ne fut qu’une suite de mots que Kelly n’arrivait pas à saisir, le regard dans le vague et le remord plein le coeur.